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Retour à la listeMe Jean Lanctot, Avocat
Dans un monde où règne le libre marché, il peut être avantageux pour un manufacturier de se démarquer de ses concurrents par une approche publicitaire visant à assurer le public que son produit reçoit l’appui d’autorités dans le domaine. Il peut en effet être rassurant d’apprendre que des personnes compétentes et reconnues comme telles appuient tel ou tel produit. Qui n’a pas été témoin d’un tel procédé où un professionnel fait la promotion d’un produit de consommation ou d’un équipement ?
Comme nous l’avons déjà souligné dans le cadre de cette chronique, l’indépendance professionnelle et le désintéressement sont des notions intimement reliées aux fondements mêmes de la déontologie. Ils sont le gage à la fois de la qualité des services et de la confiance du public à l’égard des professionnels.
Le Code de déontologie des ergothérapeutes comporte des dispositions spécifiques concernant l’indépendance professionnelle, notamment à l’article 3.05.02, qui se lit ainsi :
3.05.02 L’ergothérapeute doit sauvegarder en tout temps son indépendance professionnelle et éviter toute situation où il serait en conflit d’intérêts. Sans restreindre la généralité de ce qui précède, un ergothérapeute :
- est en conflit d’intérêts lorsque les intérêts en présence sont tels qu’il peut être porté à préférer certains d’entre eux à ceux de son client ou que son jugement et sa loyauté envers celui-ci peuvent en être défavorablement affectés;
- n’est pas indépendant comme conseiller pour un acte donné, s’il y trouve un avantage personnel, direct ou indirect, actuel ou éventuel.
Me Vandenbroek, auteur de L’ingénieur et son code de déontologie, définit ainsi l’indépendance professionnelle :
« Sauvegarder son indépendance professionnelle, c’est conserver les capacités de poser des actes réservés à sa profession à l’abri de toute forme d’interventions tant réelles qu’apparentes, de la part de toute personne. »
L’indépendance professionnelle doit être préservée dans tous les aspects de l’exercice de la profession et notamment en matière de publicité. Certes, l’ergothérapeute jouit d’une très large liberté en matière de publicité, à l’instar de tous les professionnels depuis le jugement de la Cour suprême dans l’affaire Rocket en 1989. La publicité professionnelle est en effet partie intégrante du discours protégé par l’article 2 b) de la Charte canadienne des droits et libertés, lequel garantit la liberté d’expression. Cette marge de manoeuvre dont bénéficie le professionnel est cependant balisée par une valeur propre à la déontologie : le professionnalisme. C’est pourquoi l’ergothérapeute doit garder à l’esprit qu’il a l’obligation, dans sa publicité, de « favoriser le maintien et le développement du professionnalisme » (art. 5.01, 2e al. du Code de déontologie des ergothérapeutes).
Il est permis de se questionner sur le caractère éthique et déontologique du procédé publicitaire qui associe le professionnel à l’achat ou l’utilisation d’un produit quelconque. Est-ce qu’une personne raisonnable n’aurait pas tendance à interpréter que l’appui du professionnel envers le produit est au moins en partie dicté par ses propres intérêts économiques ou ses ambitions personnelles ?
Même si l’ergothérapeute a sincèrement comme unique intention d’aider le public en l’informant de certains biens ou équipements qu’il juge utiles ou nécessaires, l’apparence d’atteinte à son indépendance professionnelle demeure bien présente. Certains codes de déontologie, notamment ceux des travailleurs sociaux et des psychologues, prohibent spécifiquement pour leurs membres toute forme de réclames publicitaires recommandant au public l’achat ou l’utilisation d’un produit quelconque. Autre élément important, le risque est également bien présent pour une telle annonce publicitaire de donner une image « commerciale » à la profession. L’ergothérapeute qui donne sa caution professionnelle à un produit ou à un équipement se transforme en véritable « représentant » du produit. Or, l’article 5.07 du Code de déontologie précise que l’ergothérapeute doit, dans sa publicité, éviter toutes les méthodes et attitudes susceptibles de donner à sa profession un caractère de lucre et de commercialité.
Bien qu’il n’existe aucune disposition spécifique prohibant le procédé par lequel l’ergothérapeute s’associerait à un produit ou à un équipement, on doit se rappeler que le droit disciplinaire n’exige pas nécessairement des dispositions spécifiques pour chaque comportement jugé non conforme par le comité de discipline. Les articles 5.01, 2e alinéa, et 5.07 précités sont suffisamment clairs pour que chaque membre s’abstienne de s’associer à un tel procédé, et ce, au nom de l’indépendance professionnelle.