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Retour à la listeMe Jean Lanctot, Avocat
Les nouvelles réalités du marché du travail amènent parfois les ergothérapeutes à plier face à l’intervention de tiers qui tentent d’influer sur l’exécution de leurs devoirs professionnels, au préjudice de leurs clients. Cela constitue une contravention à l’article 3.05.01 du Code de déontologie des ergothérapeutes. Nous tenterons, dans ce texte, de passer en revue certains problèmes susceptibles d’entacher l’indépendance professionnelle de l’ergothérapeute.
La spécificité de l'intervention de l'ergothérapeute
La pratique en milieu multidisciplinaire dans le secteur privé amène son lot de difficultés particulières. Le statut de salarié de l’ergothérapeute peut parfois créer un sentiment de subordination professionnelle qui affecte l’ensemble du processus d’intervention ergothérapique. Dans ce contexte, il est très difficile, pour l’ergothérapeute, de garder sa spécificité. Au plan professionnel, on constate, malheureusement, que l’ergothérapeute suit parfois aveuglément les directives de son employeur issu d’une autre profession, tel un médecin ou un physiothérapeute, mettant ainsi de côté des aspects essentiels du processus propre à sa profession. Lorsque ce processus clinique — réduit à sa plus simple expression — et le plan d’intervention — peu spécifique à l’ergothérapie — sont examinés, ils n’ont parfois plus rien à voir avec ce qui est généralement reconnu dans la profession.
De plus, l’ergothérapeute ne peut rester muet au vu de la décision d’un médecin qui, de par sa recommandation, ne justifie pas d’amorcer, de continuer ou d’interrompre des traitements en ergothérapie. Au contraire, l’ergothérapeute a l’obligation de faire valoir son opinion professionnelle et d’informer les personnes concernées de ce qu’il croit être bénéfique pour le client.
L’ergothérapeute doit se rappeler qu’il est un professionnel à part entière et non un technicien chargé d’appliquer un protocole d’intervention dicté par un tiers. Le statut d’employé ne peut, en aucun cas, justifier ni excuser un tel comportement.
Les volumes imposés d'actes professionnels
Dans le secteur privé, la dimension de la profitabilité des actes professionnels est tout à fait normale et essentielle à la survie même de l’entreprise de services professionnels. Cependant, cet objectif ne peut ni ne doit entrer en contradiction avec la qualité généralement reconnue des services professionnels rendus et la spécificité de l’intervention ergothérapique. Le client ne doit pas devenir un numéro, au risque de contrevenir au paragraphe 3 de l’article 3.01.04 du Code de déontologie des ergothérapeutes. Il est en droit de recevoir des services adaptés à sa condition et à ses besoins.
À cet égard, les volumes d’activités professionnelles propres à l’ergothérapie — parfois constatés dans certains milieux — sont incompatibles avec la prestation de services de qualité pour le client. L’ergothérapeute a donc l’obligation de refuser de s’engager dans de telles pratiques abusives.
La tenue de dossier minimaliste
S’affirmer comme professionnel, c’est également prendre le temps de s’acquitter de ses obligations en matière de tenue de dossier. Les formulaires de la Commission de la santé et de la sécurité du travail ou de la Société de l’assurance automobile du Québec ne dispensent pas l’ergothérapeute de colliger dans le dossier professionnel du client l’ensemble des éléments mentionnés dans le Règlement sur la tenue des dossiers et des cabinets de consultation d’un membre de l’Ordre professionnel des ergothérapeutes du Québec. Rappelons qu’à cet égard, la règlementation ne permet pas la tenue d’un dossier multidisciplinaire dans une clinique privée. Il y a donc lieu pour l’ergothérapeute, en toutes circonstances, de tenir un dossier distinct.
La cessation d'exercice dans une clinique multidisciplinaire
On porte parfois à l’attention de l’Ordre des situations où un ergothérapeute quitte une clinique multidisciplinaire dans laquelle il travaillait seul en tant qu’ergothérapeute. Bien sûr, si un autre ergothérapeute le remplaçait, il lui serait possible de céder à son successeur les dossiers qu’il tenait ; toutefois, avant de partir, l’ergothérapeute devra s’assurer d’en aviser les clients, tout en respectant la réglementation. Cependant, si aucun ergothérapeute ne prenait la relève, l’ergothérapeute — en tant que fiduciaire des dossiers — aurait l’obligation de les conserver et de prendre également des mesures visant à en informer les clients. Notons qu’aucun contrat, entente ou convention ne pourrait y faire obstacle puisqu’il s’agit d’obligations d’ordre public.
Conclusion
En tant que professionnel, l’ergothérapeute doit subordonner ses intérêts personnels à ceux de ses clients. Il a également l’obligation d’ignorer toute intervention de tiers qui l’éloignerait de l’atteinte de cet objectif. Ce n’est qu’en affirmant son indépendance et en faisant valoir la spécificité de l’intervention ergothérapique, par rapport aux autres services offerts dans son milieu d’exercice, que l’ergothérapeute y parviendra.