Articles spéciaux
Retour à la listeLe Code de déontologie des ergothérapeutes énonce clairement que l’ergothérapeute doit préserver son indépendance professionnelle lorsqu’il exerce sa profession. Bien que cette indépendance ne soit pas sans limites, certains membres de l’Ordre perçoivent que des influences externes imposent parfois des contraintes indues sur leur pratique professionnelle et sont préoccupés par la situation.
Lors de la cueillette de données effectuée en vue de définir son plan d’action pour l’exercice de la profession dans le secteur privé, l’Ordre s’est particulièrement intéressé à la notion d’indépendance professionnelle. Le présent texte dresse un exposé de la émarche suivie par l’Ordre pour recueillir ces données et analyser les principaux enjeux qu’elles soulèvent. Un aperçu des moyens mis en place par l’Ordre pour soutenir ses membres face à ces enjeux est aussi offert en conclusion.
Par ailleurs, bien que les données aient été recueillies auprès de ce groupe particulier d’ergothérapeutes, des propos rapportés à l’Ordre par ceux exerçant dans le secteur public permettent de croire que certains des enjeux définis dans le présent article sont également présents dans ce secteur. Par conséquent, cet article s’adresse à tout ergothérapeute s’intéressant au sujet de l’indépendance professionnelle.
La cueillette de données
Des données sur l’indépendance professionnelle ont été principalement recueillies dans les trois dernières années auprès de cinq sources :
- Des ergothérapeutes exerçant dans le secteur de la pratique privée au moyen d’un sondage (209 répondants);
- Le comité d’inspection professionnelle (CIP);
- Le bureau du syndic;
- Le soutien téléphonique de l’Ordre;
- Les directeurs des programmes d’ergothérapie des cinq universités québécoises.
Les enjeux soulevés
La consultation a permis d’identifier les principaux acteurs qui peuvent influer sur l’indépendance professionnelle des ergothérapeutes du secteur privé :
- le tiers payeur;
- le médecin traitant;
- l’employeur;
- le client participant au processus d’intervention (ci-après appelé « client »).
En ce qui a trait au tiers payeur, les résultats du sondage indiquent que les tentatives d’influence seraient fréquentes. D’ailleurs, les ergothérapeutes ont identifié plusieurs éléments du processus d’intervention où ils observent davantage cette influence, que ce soit sur une base occasionnelle ou régulière :
- la détermination des modalités d’intervention (fréquence, durée, etc.);
- le suivi post-intervention des recommandations émises par l’ergothérapeute, lorsqu’il s’avère pertinent;
- la détermination de la fin de l’intervention;
- le recadrage de la demande de service.
Selon le CIP, l’absence ou le manque de clarté et de précision du contrat de service négocié en début de processus favorise la présence de ces problématiques.
De son côté, le médecin traitant est perçu comme imposant certaines limites à l’indépendance professionnelle de l’ergothérapeute, principalement dans un contexte assurantiel où il a un pouvoir décisionnel sur la fin des interventions. Ce contexte fait surtout référence à certains dossiers de la Commission des normes, de l’équité, de la santé et de la sécurité du travail (CNESST) où le médecin a le pouvoir légal de décider de la fin des interventions professionnelles, incluant l’ergothérapie. Outre ce pouvoir décisionnel déterminé par la loi, des ergothérapeutes font également état de situations où le médecin recommande de cesser les interventions en ergothérapie sans consulter l’ergothérapeute au préalable ou tente de dicter les modalités d’intervention en ergothérapie (p. ex. : durée et fréquence des interventions).
Par ailleurs, à l’égard de l’employeur, la principale préoccupation ressortie, majoritairement exprimée par des ergothérapeutes qui exercent dans des cliniques multidisciplinaires, est reliée aux pressions effectuées par certains employeurs pour maintenir une charge de travail élevée. De telles pressions auraient une influence sur la détermination des modalités d’intervention qui, à leur tour, peuvent influer sur le choix des approches (p. ex. : biomécanique plutôt que centrée sur les occupations), des méthodes d’évaluation (p. ex. : privilégier l’entrevue plutôt que des mises en situation) et des moyens d’intervention (p. ex. : la répétition de levées de charge en milieu clinique au détriment de mises en situation contextualisées), rendant ainsi la spécificité ergothérapique moins apparente. De plus, aux dires du CIP, la charge de travail est souvent invoquée par les ergothérapeutes pour justifier une tenue de dossiers qui n’est pas conformes aux normes attendues.
En ce qui a trait au client, ce dernier tente parfois de négocier des services d’ergothérapie en deçà des normes professionnelles attendues en raison de contraintes financières. D’ailleurs, c’est la négociation avec cet acteur qui ressort du sondage comme faisant l’objet du plus grand taux de préoccupation chez les ergothérapeutes. Le CIP a également effectué des observations à cet égard. Le fait que le client ne puisse obtenir de services d’ergothérapie en raison de son incapacité à en payer la totalité des coûts engendre chez l’ergothérapeute un enjeu éthique qui peut amener ce dernier à effectuer un processus d’intervention partiel, sous prétexte que le client puisse avoir accès à des services, et ce, au détriment du respect de ses normes professionnelles.
En conclusion, les enjeux à l’égard de l’indépendance professionnelle sont multiples chez les ergothérapeutes du secteur privé. Il est donc essentiel que les ergothérapeutes connaissent les balises encadrant la conduite à tenir lorsqu’ils sont confrontés à des enjeux d’indépendance professionnelle. À cet effet, deux conférences sur le sujet seront offertes dans le cadre du colloque 2016 de l’Ordre. Elles seront filmées pour ensuite être incluses à un module de formation en ligne qui comprendra des notions supplémentaires sur l’indépendance professionnelle dont le conflit d’intérêts, la nature des relations avec le client et avec les tiers payeurs et les relations commerciales. L’Ordre envisage également de publier d’autres textes ou documents sur le sujet. Surveillez les communications de l’Ordre pour connaître la date de mise en ligne de la formation et celles des publications.