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Retour à la listeL’évaluation fonctionnelle de l’aptitude à conduire est une activité professionnelle complexe. L’ergothérapeute doit non seulement réaliser une analyse juste et minutieuse des habiletés du client à conduire un véhicule routier, mais il doit également le faire en considérant les effets de ses conclusions et de ses recommandations sur le privilège du client de détenir un permis de conduire, sur la réalisation de ses occupations, sur celle des membres de son entourage et, finalement, sur la sécurité des autres usagers de la voie publique.
Afin qu’un client puisse maintenir son privilège de conduire, les ergothérapeutes recommandent parfois que leur permis de conduire soit assorti d’une ou de plusieurs conditions. Le présent article abordera spécifiquement les recommandations de restrictions géographiques de la conduite et des considérations à prendre en compte lorsque l’ergothérapeute envisage de telles recommandations. Parmi des exemples de restrictions géographiques, on trouve toute limitation de la distance de conduite permise à partir du domicile, la délimitation d’un périmètre de conduite (p. ex. : un quartier, un village) ou l’interdiction de conduite sur certaines voies publiques (p. ex. : les autoroutes).
Considérations liées à l’évaluation
Toute recommandation de restriction géographique doit être appuyée d’une évaluation qui a mesuré la capacité du client à conduire de manière sécuritaire et autonome en respectant la limitation envisagée. Ainsi, l’évaluation doit démontrer :
- que le conducteur a les habiletés requises pour conduire dans tous les lieux qui lui seront autorisés;
- que le conducteur a les habiletés requises pour respecter, de manière autonome, les limitations qui seraient inscrites au permis de conduire.
À cet effet, la Société de l’assurance automobile du Québec (SAAQ) note que la majorité des restrictions géographiques recommandées par les ergothérapeutes figurent au rapport de personnes atteintes de difficultés sur le plan cognitif. Bien qu’au Québec de telles recommandations ne soient pas actuellement interdites pour ces conducteurs, la SAAQ se questionne régulièrement sur leur validité et peut demander aux ergothérapeutes des compléments d’information si celles-ci ne sont pas suffisamment justifiées. Elle pourra également refuser une telle recommandation et donner suite au dossier selon les procédures applicables (p. ex. : demander une nouvelle évaluation sur route par un autre ergothérapeute ou dans un centre de services de la SAAQ, conclure à partir des données qu’elle détient déjà, etc.).
L’ergothérapeute doit aussi être prudent face à la capacité de conduire de son client dans un environnement dit « familier » (p. ex. : une conduite limitée au village où réside le conducteur). Bien qu’un trajet ou un environnement soit familier, le conducteur qui a des difficultés cognitives saura-t-il faire face de manière sécuritaire et autonome à tout changement survenant dans cet environnement (p. ex. : une route déviée en raison d’un accident ou de travaux de réfection) ? L’évaluation doit le démontrer.
Que faire si je suis dans l’impossibilité de vérifier tous les types de routes?
Il arrive que la situation géographique du lieu où se déroule l’évaluation ne permette pas de vérifier les habiletés de conduite sur toute la diversité de routes que pourrait emprunter le conducteur. Par exemple, l’absence d’autoroute est fréquente dans certaines régions du Québec. Pour cette raison, certains ergothérapeutes recommandent que des restrictions géographiques soient inscrites au permis, car l’évaluation n’a pas pu permettre de vérifier l’autonomie et la sécurité du client dans de telles situations. Une telle pratique est à éviter. En effet, l’ergothérapeute doit plutôt indiquer au rapport les limites inhérentes de son évaluation et leurs conséquences sur son opinion professionnelle. À la lumière de l’ensemble des données qu’elle détient, la SAAQ déterminera les suites à donner à l’évaluation de l’ergothérapeute.
Et si c’est mon client qui m’informe qu’il ne conduira plus dans certains lieux?
À nouveau, toute recommandation d’une restriction géographique doit être justifiée par l’évaluation fonctionnelle de l’aptitude à conduire réalisée par l’ergothérapeute. Toute personne a le droit de limiter sa propre conduite sans que cela en soit une condition figurant à son permis.
Conclusion
Agir conformément aux normes professionnelles et légales de même qu’en suivant l’évolution des évidences scientifiques dans le domaine de l’évaluation fonctionnelle de l’aptitude à conduire, exige des compétences avancées. Le présent article visait à soutenir la prise de décision des ergothérapeutes face à des situations complexes où le maintien du privilège de conduire d’une personne est en jeu. Il se veut un complément au document « Interventions relatives à l’utilisation d’un véhicule routier », Guide de l’ergothérapeute, publié par l’Ordre en 2008 et disponible dans la section Publications du site Web de l’Ordre.