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Retour à la listeErgothérapeutes en action Le défi de la tenue de dossiers en ergothérapie dans une équipe de suivi dans la communauté en santé mentale
CET ARTICLE FAIT SUITE À CELUI INTITULÉ « ERGOTHÉRAPEUTE DANS UNE ÉQUIPE DE SUIVI DANS LA COMMUNAUTÉ EN SANTÉ MENTALE : UN DÉFI ! » PARU À L’AUTOMNE 2022, OÙ IL EST QUESTION DE LA DISTINCTION ENTRE LE RÔLE D’ERGOTHÉRAPEUTE ET CELUI D’INTERVENANT PIVOT. DANS CET ARTICLE, IL SERA QUESTION DE LA TENUE DE DOSSIERS (TDD), ACTIVITÉ COMPLEXE QUI EXIGE DES HABILETÉS CLINIQUES, RÉFLEXIVES, DE SYNTHÈSE ET DE RÉDACTION ET QUI S’INSCRIT SOUVENT DANS UN CONTEXTE DE LIMITE DE TEMPS SOIT UN RÉEL DÉFI !
Ingrid Ménard, erg. Elle a travaillé comme Chef des services ambulatoires et de suivi dans la communauté du CIUSSS de l’Ouest-de-l’Île-de-Montréal et pendant de nombreuses années comme intervenante dans une équipe de soutien d’intensité variable.
Julie Rousseau, erg. Elle a travaillé comme ergothérapeute et coordonnatrice clinique dans des équipes SI (suivi intensif dans le milieu), SIV (soutien d’intensité variable) et PEP (premier épisode psychotique) au CIUSSS du Saguenay Lac St-Jean et CISSS de l’Outaouais pendant de nombreuses années.
Remerciements à M. Martin Lagacé, erg., pour ses commentaires et sa contribution à l’article. M. Lagacé a travaillé comme ergothérapeute et coordonnateur professionnel, équipes SIV-SBNI (CIUSSS du Centre-Ouest-de-l’Île-de-Montréal)
Les ergothérapeutes dans les équipes de suivi dans la communauté ont plusieurs questions en lien avec la TDD. En fait, lorsque l’ergothérapeute joue strictement un rôle d’intervenant pivot, il est faux de croire que tous les documents rédigés dans le cadre de sa pratique doivent être en lien avec la profession, c’est-à-dire faire ressortir la spécificité de l’ergothérapie, et respecter toutes les normes de TDD de la compétence 2.2.1 « effectuer la tenue de dossiers professionnels » figurant au référentiel de compétences lié à l’exercice de la profession d’ergothérapeute au Québec (OEQ, 2013). Étant membre à part entière d’une équipe de suivi dans la communauté, l’ergothérapeute est amené à intervenir dans une multitude de rôles c’est-à-dire, qu’il/elle peut parfois agir comme ergothérapeute et à d’autres moments agir comme un intervenant de l’équipe, en effectuant des tâches qui sont interchangeables d’un intervenant à un autre, peu importe sa profession. Dans ce dernier cas, l’ergothérapeute se voit attribuer des tâches de travail qui ne relèvent pas spécifiquement de sa profession. Dans un article paru en 2014 dans « Ergothérapie Express », le comité d’inspection professionnelle (CIP) rapporte qu’il y a parfois présence de confusion chez les ergothérapeutes entre leurs différents rôles, ce qui est particulièrement vrai dans les équipes de suivi dans la communauté. Cette confusion des rôles peut entraîner des conséquences comme la réalisation incomplète d’un processus d’intervention en ergothérapie ou une TDD laissant croire qu’il/elle agit à titre d’ergothérapeute alors que les services offerts ne relèvent pas de l’ergothérapie.
Prenons un exemple: vous travaillez dans une équipe de premier épisode psychotique (PEP) ou une équipe de suivi intensif dans le milieu (SIM) et, en tant qu’intervenant pivot ou en tant que chef d’équipe, vous faite l’évaluation initiale conjointement avec le psychiatre de l’équipe afin de procéder à la première collecte de données dans le but d’évaluer si le client satisfait aux critères de suivi de votre équipe. Dans cette situation, il est important de préciser dans votre TDD que vous intervenez à titre d’intervenant pivot ou en tant que chef d’équipe afin d’évaluer si la personne répond aux critères d’admissibilité dans votre service et non à titre d’ergothérapeute. Par conséquent, votre TDD ne sera pas spécifique au champ de pratique de l’ergothérapie. Cependant, si le client est accepté pour un suivi par l’équipe et que lors de la collecte de données initiale, le client est affecté à l’ergothérapeute en raison de difficultés relevant de son fonctionnement dans ses occupations, vous serez à ce moment appelé à agir à titre d’ergothérapeute dans ce même dossier. Dans cette situation, vous devrez procéder à une évaluation spécifique en ergothérapie ainsi qu’à une analyse ergothérapique des résultats de l’évaluation à partir de laquelle le plan d’intervention en ergothérapie sera élaboré. Dans ce cas particulier, vous n’auriez pas à répéter les informations déjà mentionnées dans le rapport initial, mais seulement y faire référence.
La base: savoir à quel titre l’intervention sera réalisée
Il est essentiel pour l’ergothérapeute de bien savoir à quel titre il/elle agit lors de ses interventions afin de bien planifier et mener le processus clinique qui en découle. Lorsqu’un ergothérapeute d’une équipe de suivi dans la communauté agit dans son champ de pratique, il/elle doit respecter les normes indiquées au référentiel de compétences lié à l’exercice de la profession d’ergothérapeute au Québec, notamment, quant au processus d’intervention en ergothérapie et à la TDD qui en découle. Pour ce faire, l’ergothérapeute peut se demander si l’intervention qui lui a été assignée pourrait être réalisée par n’importe quel autre membre de l’équipe ou si l’intervention est spécifique à son champ d’exercice. Que l’ergothérapeute travaille seul (SIV) ou en équipe interdisciplinaire (PEP et SIM), l’ergothérapeute peut à tout moment décider qu’une intervention en ergothérapie est pertinente, même si la référence du départ est une référence spécifique à un service et non spécifique à l’ergothérapie. Dans ce cas, l’ergothérapeute doit discerner si elle ou il se positionne dès le départ dans son rôle d’ergothérapeute ou à un moment ultérieur du processus ou pas du tout. Dans les équipes où l’ergothérapeute est intervenant pivot et travaille seul, particulièrement en contexte de soutien d’intensité variable (SIV), il incombe à l’ergothérapeute, selon le motif de la demande de service, de décider si elle ou il agira comme intervenant pivot ou en qualité d’ergothérapeute dans chacun de ses dossiers. Le cas échant, il/elle pourrait également choisir de jouer simultanément les deux rôles pendant une période ; dans cette éventualité, la TDD devra alors refléter les deux rôles distincts. Pour ce faire, l’ergothérapeute peut se demander si la référence qu’il/elle a reçue peut être recadrée dans le champ de pratique de l’ergothérapie. En effet, d’une part, la nature des programmes de suivi met l’accent sur la réadaptation dans la communauté ; d’autre part, certaines demandes de services reçues peuvent facilement être recadrés dans le champ de pratique de l’ergothérapie dès le début des interventions, particulièrement lorsque des enjeux occupationnels sont présents. Ainsi, les dossiers suivis par l’ergothérapeute à titre de pivot n’exigent pas qu’une évaluation ergothérapique soit réalisée. Toutefois, il est important de se rappeler qu’il revient à l’ergothérapeute, selon son jugement clinique, de faire la part entre ce qui appartient au champ de pratique de l’ergothérapeute ou ce qui se rapporte au mandat plus général d’une équipe de suivi dans la communauté. En effet, si un dossier est orienté vers l’ergothérapeute par l’équipe, il/elle doit juger de la pertinence ou non de procéder à une démarche clinique en ergothérapie (Référentiel 111B).
Cibler son mandat: essentiel à la précision
Lorsque l’ergothérapeute pratique dans son champ d’exercice, il/elle doit bien comprendre le but précis de son intervention afin de bien la cibler et de bien circonscrire son mandat ainsi que la TDD qui en découle. Dans le contexte d’intervention des équipes dans la communauté, une évaluation initiale détaillée est réalisée lors de l’entrée du client dans le programme. De plus, étant donné que pour la majorité des clients, la durée des suivis s’échelonne généralement sur du moyen/long terme, les clients sont bien connus, et le volume d’information sur le client et sa situation de vie au dossier est considérable. C’est pourquoi il est d’autant plus important, lors d’une prise en charge en ergothérapie, de bien circonscrire le motif de la demande de service. Ici, il n’est pas requis de reprendre l’ensemble de la collecte de données déjà connue et présente au dossier dans son rapport d’évaluation initiale en ergothérapie, mais d’y faire référence. Aussi, lorsque l’équipe qui a orienté le patient est celle qui appliquera les interventions recommandées à la suite de l’évaluation en ergothérapie (par exemple?: SIM), il est important pour l’ergothérapeute de se demander si une démarche consultative (rapport de consultation en ergothérapie avec recommandations d’interventions qui seront appliquées par l’équipe) ou une démarche évaluative avec plan d’intervention spécifique à l’ergothérapie (rapport d’évaluation avec un plan d’intervention en ergothérapie appliqué seulement par l’ergothérapeute) est la plus pertinente. L’ergothérapeute doit donc se questionner sur la cible de son évaluation afin de cibler les habitudes de vie (HDV), les facteurs personnels (FP) et les facteurs environnementaux (FE) à prendre en compte lors de son évaluation, afin de ne pas évaluer ce qui n’est pas pertinent au mandat. Ici, il faut se questionner sur la raison précise d’intervenir en tant qu’ergothérapeute.
Par exemple: une cliente est suivie par votre équipe SIM depuis un an, elle est stable, mais se mobilise peu dans son quotidien. Elle passe beaucoup de temps à la maison et manifeste un désir d’avoir des activités signifiantes dans son horaire occupationnel. Malgré plusieurs tentatives de l’équipe, la cliente passe la majorité de son temps seule à la maison. Lors de la rencontre d’équipe, on fait une référence verbale à l’ergothérapeute afin qu’elle puisse procéder à une évaluation dans le but d’identifier les FP et les FE qui ont un impact sur la participation et l’engagement occupationnel de la cliente. L’ergothérapeute a déjà rencontré à quelques reprises la cliente en tant qu’intervenant(e) SIM, pour la distribution de médicament ou l’accompagnement à des rendez-vous. Durant la première année de suivi, l’équipe a travaillé principalement la gestion des symptômes de la maladie. Dans la situation décrite ci-dessus, l’ergothérapeute décide d’entreprendre un processus d’évaluation en ergothérapie. Selon les résultats obtenus à l’évaluation, il/elle pourrait faire des recommandations à l’équipe (rapport de consultation avec recommandations d’interventions à l’équipe) ou rédiger un rapport d’évaluation avec un plan d’intervention en ergothérapie. Il/elle pourrait effectuer un bref épisode de service en ergothérapie dans le cadre de l’épisode de services SIM, si elle ou il juge que les interventions requises sont propres à l’ergothérapie et ne pourraient pas être mises en place par les différents membres de l’équipe (p. ex.: action contre l’inertie, processus de remotivation, etc.). Dans sa TDD l’ergothérapeute devra bien distinguer chacun de ses rôles distincts.
Le tableau suivant résume les différents rôles et responsabilités des ergothérapeutes selon le contexte de pratique:
Éviter les pièges
- Mélanger les rôles: l’ergothérapeute doit donc se questionner en tout temps si elle ou il agit à titre d’ergothérapeute au moment de son intervention. Dans le doute, l’ergothérapeute se doit de statuer. Certains indices peuvent aider l’ergothérapeute à prendre une décision?:
- Les outils d’évaluation qu’il/elle planifie d’utiliser sont-ils propres à l’ergothérapie ?
- Est-ce que le but de l’intervention est de comprendre les enjeux occupationnels ?
- Est-ce qu’une évaluation des habiletés fonctionnelles est pertinente ou aurait une valeur ajoutée ?
- Tout détailler: il est important de sélectionner et d’inscrire seulement les informations pertinentes au mandat.
Explorer toutes les pistes
- Se doter d’une réflexion systématique, prendre du recul afin de déterminer à quel titre le processus clinique sera réalisé et quel sera le mandat précis, puis s’assurer de l’écrire ;
- Clarifier son intention: sans intention claire, il peut y avoir absence de fil conducteur dans les écrits. Il est essentiel de se questionner sur ce qu’il est important de documenter au dossier selon la demande de service (pertinence et concision des données à recueillir). Selon les motifs de la demande de service, un rapport d’évaluation exhaustif pourrait être nécessaire ou encore un rapport d’évaluation très bref et précis pourrait également répondre à la demande de services (DDS). Par exemple, si l’équipe a besoin de bien documenter le fonctionnement de la personne afin d’aller chercher une autorisation de soins et une ordonnance d’hébergement, l’ergothérapeute pourrait décider de faire un rapport plus élaboré avec l’intention de démontrer tous les enjeux de sécurité présents dans la situation de la personne. Toutefois, si l’équipe veut identifier les FP et le FE qui font obstacle à une participation dans des activités de loisirs, l’ergothérapeute pourrait faire un rapport beaucoup plus court ;
- Utiliser un modèle qui appuiera le type de processus clinique choisi ; le choix du modèle dépend du mandat et peut changer d’un dossier à l’autre:
- le modèle Personne-Environnement-Occupation (PEO) peut être utile lorsque le processus clinique est court ;
- le modèle de l’occupation humaine (MOH) peut être utile pour faire ressortir les éléments liés à la volition qui entravent le rendement occupationnel ;
- le modèle canadien du rendement et de l’engagement occupationnel (MCREO) peut être utile pour détailler les HDV, FE et FP et les liens permettant de comprendre les enjeux conduisant à une démarche de protection ;
- Inscrire des titres afin de clarifier les écrits (p.ex.: « Évaluation en ergothérapie » ; « Note de suivi en ergothérapie » ; « Note de fin d’intervention en ergothérapie ») ; signer à titre d’ergothérapeute lorsque le rôle joué correspond à un processus en ergothérapie et s’assurer de signer « erg., intervenant pivot » lorsque l’ergothérapeute assume cette fonction ;
- Ne pas hésiter à fermer un épisode de services en ergothérapie. Au besoin, en ouvrir un nouveau et en faire plusieurs, si cela est requis.
Pour conclure, rappelons que le comité d’inspection professionnelle (CIP) n’inspecte que le processus d’intervention en ergothérapie et qu’il peut être aidant de conserver cette section du dossier accessible au processus d’inspection lorsque cela est demandé.
Autres ressources:
Article « Titre professionnel, titre d’emploi et rôle professionnel : les différences », mis à jour le 1er juin 2010 ;
Les formations de l’OEQ sur la tenue de dossier
- Tenue de dossiers: habiletés de rédaction — Niveau de base
- Tenue de dossiers: habiletés de rédaction — Niveau avancé