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Retour à la listeL’utilisation de modèles et d’approches propres à notre profession : faire ressortir notre spécificité d’ergothérapeute
L’étude des dossiers d’inspection professionnelle au cours des dernières années a permis de constater que les ergothérapeutes n’utilisent pas tous des cadres de référence ou des approches spécifiques à l’ergothérapie pour orienter leur processus d’évaluation et d’intervention. Certains secteurs d’activités semblent plus propices à un tel fait. Par exemple, on observe parfois que seul un cadre de référence biomécanique oriente le processus d’évaluation et d’intervention pour le traitement de la main ou des grands brûlés, une approche basée sur la thérapie cognitivocomportementale auprès de personnes atteintes de troubles mentaux ou une approche basée sur la réorganisation neurosensorielle chez certains enfants. Bien que l’utilisation de ces cadres de référence ou approches spécifiques peut s’avérer fort pertinente, elle n’est pas suffisante dans un contexte d’intervention en ergothérapie. Ainsi, cet article vise à rappeler les critères de compétences attendus de tout ergothérapeute en matière d’utilisation des approches théoriques et des modèles de pratique guidant l’évaluation et l’intervention en ergothérapie.
Le Référentiel de compétences lié à l’exercice de la profession d’ergothérapeute au Québec indique que le choix des approches et des modèles guident notre évaluation autant que notre intervention. Ces modèles théoriques soutiennent le processus de raisonnement clinique afin de mieux cerner les besoins du client et de relever les enjeux occupationnels qui lui sont propres. Plusieurs modèles existent en ergothérapie, nommons notamment le Modèle canadien du rendement et de l’engagement occupationnels (MCREO), le Modèle de l’occupation humaine (MOH) et le Modèle personne-environnement-occupation (MPEO).
Par ailleurs, en fonction des caractéristiques du client, les ergothérapeutes peuvent recourir également à des cadres de référence ou approches spécifiques pour documenter avec plus de précision certains éléments de leur évaluation et orienter leur processus d’intervention. Les cadres de référence, souvent transdisciplinaires, découlent eux aussi de théories. Ils guident la pratique en posant un regard plus singulier sur certains aspects.
Illustrons la combinaison optimale d’un modèle propre à l’ergothérapie et d’une approche spécifique par l’exemple d’un ergothérapeute exerçant auprès d’une clientèle présentant une affection de la main. Celui-ci pourrait combiner l’utilisation du MCREO et du cadre de référence biomécanique.
Dès la demande de services, l’ergothérapeute doit relever ce qui caractérise l’intervention en ergothérapie pour le client rencontré. Il intervient auprès de lui non seulement pour l’aider à retrouver la fonction de sa main, diminuer la douleur ou récupérer les amplitudes, mais sa finalité ultime est de favoriser l’autonomie optimale de son client, notamment par la reprise de ses activités antérieures à la lésion, par exemple le travail. En fonction du MCREO, il sait qu’il doit documenter autant les dimensions de la personne (composantes de rendement et d’engagement) que l’environnement et les domaines de rendement occupationnel. Ainsi, outre les facteurs liés L’utilisation de modèles et d’approches propres à notre profession : faire ressortir notre spécificité d’ergothérapeute à la dimension physique, le MCREO l’enjoint également à documenter les autres dimensions (affective, cognitive et spirituelle) pouvant avoir un impact sur le suivi ergothérapique, les facteurs environnementaux pouvant influencer la situation du client (environnements institutionnel, culturel, physique et social) et, finalement, au coeur de sa collecte de données, l’ergothérapeute cherche à cerner les domaines de rendement actuels ou éventuellement perturbés du client dans ses soins personnels, sa productivité et ses loisirs.
L’approche biomécanique, quant à elle, guide son évaluation des amplitudes articulaires, de la force musculaire, de l’endurance et de l’intégrité de la peau pour détermine les facteurs personnels à considérer pour le retour à la fonction optimale de la main.
Ainsi, une fois l’évaluation complétée, l’analyse de la situation ne cible pas seulement la lésion de la main, mais établit l’ensemble des liens analytiques entre les dimensions de la personne, les facteurs environnementaux et le rendement occupationnel du client (dans le Référentiel de compétences, ceci fait référence à produire le résultat de l’évaluation et plus spécifiquement à la pertinence et la justesse des liens analytiques entre les facteurs personnels, les facteurs environnementaux et les habitudes de vie, p. 21). Dans l’orientation des traitements et des interventions, l’ergothérapeute s’attarde certainement aux aspects biomécaniques liés à la lésion de la main. Cependant, les moyens d’intervention ne se limitent pas qu’aux facteurs reliés à la lésion de la main, mais tiennent compte des autres dimensions de la personne et des facteurs environnementaux et de leurs impacts sur le rendement fonctionnel du client. À la fin de l’intervention, l’ergothérapeute est non seulement en mesure de documenter l’évolution du fonctionnement de la main, mais peut dresser un portrait juste des habiletés fonctionnelles du client et de conclure sur son niveau de fonctionnement dans ses occupations.
En conclusion, les cadres de références et les approches spécifiques sont utiles à la conduite du processus d’évaluation et d’intervention en ergothérapie, mais l’ergothérapeute doit demeurer vigilant à ne pas en perdre son « ergothérapie », c’est-à-dire ce qui caractérise l’apport spécifique de son intervention : le fonctionnement du client dans ses habitudes de vie.