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Retour à la listeMe Jean Lanctot, Avocat
En tant que professionnel, l’ergothérapeute bénéficie d’une large autonomie qui l’autorise à refuser de rendre des services professionnels à un client. Cette liberté de choix échoit à tout professionnel, qu’il soit avocat, comptable agréé, dentiste ou ergothérapeute. Elle est toutefois limitée et balisée par des lois ou des contextes de pratique comme nous le verrons ci-après.
Le refus basé sur la discrimination
Si l’ergothérapeute peut en principe opposer un refus à une personne qui souhaite bénéficier de ses services, il ne peut le faire pour un motif de discrimination. L’article 57 du Code des professions précise que « nul professionnel ne peut refuser de fournir des services à une personne pour des raisons de race, de couleur, de sexe, d’âge, de religion, d’ascendance nationale ou d’origine sociale de cette personne ». Un refus pour une de ces raisons constitue un acte dérogatoire à la dignité de la profession, précise l’article 59 du même Code.
Ces motifs ne sont cependant pas limitatifs. En effet, à titre d’exemple, l’ergothérapeute qui refuserait de rendre des services en raison de l’orientation sexuelle de son client userait de discrimination à son endroit. Ce motif est en effet précisé à l’article 10 de la Charte des droits et libertés de la personne. Il est donc probable que le bureau du syndic, informé d’un tel agissement d’un ergothérapeute, pourrait porter une plainte disciplinaire à son endroit et invoquer une contravention à l’article 59.2 du Code des professions qui précise que « nul professionnel ne peut poser un acte dérogatoire à l’honneur et à la dignité de sa profession ».
Le contexte de l'exercice au sein des établissements publics
L’article 6 de la Loi sur les services de santé et les services sociaux précise que « […] Rien dans la présente loi ne limite la liberté qu’a un professionnel d’accepter ou non de traiter une personne. »
Est-ce à dire que l’ergothérapeute a une complète liberté de choisir ? Non, et cela, en raison de son statut d’employé. En effet, le statut de l’employeur l’autorise à négocier et à imposer à ses employés l’obligation de fournir des services aux bénéficiaires inscrits ou admis dans l’établissement. Les auteurs Lajoie et Molinari, dans leur ouvrage intitulé Traité de droit de la santé et des services sociaux, précisent que le statut de professionnel peut se doubler de celui de travailleur et que rien n’interdit aux membres des ordres professionnels de se soumettre à des restrictions de leur autonomie.
Le contexte de l'exercice en pratique privée
En principe, l’ergothérapeute exerçant en pratique privée se voit conférer une plus importante autonomie, surtout s’il bénéficie d’un statut qui lui confère l’autorité décisionnelle. Quant à lui, l’employé est également soumis aux décisions de son employeur, tout comme l’ergothérapeute du secteur public, lequel ne peut cependant se voir imposer des actes qui contreviendraient à son Code de déontologie, comme nous le verrons plus loin.
Les refus justifiés
Quel que soit son contexte d’exercice, l’ergothérapeute ne devrait en aucun cas être amené à rendre des services professionnels dans les circonstances suivantes. Ainsi, l’ergothérapeute peut refuser de rendre des services à un client si ce dernier l’incite à l’accomplissement d’actes illégaux, injustes ou frauduleux (article 3.03.05 b) du Code de déontologie). L’ergothérapeute peut aussi refuser de traiter un client s’il estime ne pas avoir un niveau de compétence suffisant. Il est alors justifié de diriger son client vers une autre personne compétente (article 3.02.03 du Code de déontologie). Enfin, l’ergothérapeute ne devrait prodiguer de services professionnels si le fait d’accepter de rendre ces services à une personne crée une situation de conflit d’intérêts ou compromet son indépendance professionnelle. Dans ce cas, il doit opposer un refus à cette personne (article 3.03.05 b) du Code de déontologie). Ce serait par exemple le cas d’un proche qui souhaiterait que l’ergothérapeute s’occupe de le suivre en matière de santé mentale.
Ajoutons que l’ergothérapeute ne peut se voir imposer par un non-membre, même s’il s’agit de son employeur, de rendre des services professionnels à un client si ces services ne sont pas justifiés. Il a effectivement l’obligation d’ignorer toute intervention d’un tiers qui pourrait influer sur l’exécution de ses devoirs professionnels au préjudice de son client (article 3.05.01 du Code de déontologie).
Conclusion
Le droit de refuser de rendre des services professionnels à un client illustre bien le double statut de la majorité des ergothérapeutes, celui de professionnel et d’employé. Les privilèges d’être professionnel, notamment l’autonomie et la liberté de choix, sont en pratique fortement balisés et limités par le statut de l’employeur. On doit cependant se souvenir que l’ergothérapeute est également soumis en tout temps au respect de son Code de déontologie et que l’employeur doit prendre acte de cette réalité.