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Pleins feux sur l’expertise des ergothérapeutes : un texte en collaboration avec l’OTSTCFQ

À LA SUITE DE L’ENTRÉE EN VIGUEUR DE LA LOI 11 1, L’ORDRE DES ERGOTHÉRAPEUTES DU QUÉBEC (OEQ) TROUVE IMPORTANT QUE SOIT PRISE EN COMPTE L’EXPERTISE DE SES MEMBRES POUR UNE CONTRIBUTION POSSIBLE À L’ÉVALUATION PSYCHOSOCIALE DU TRAVAILLEUR SOCIAL. AFIN DE MIEUX FAIRE CONNAÎTRE CETTE EXPERTISE, NOUS PUBLIONS LE TEXTE CI-DESSOUS, FRUIT D’UN TRAVAIL DE COLLABORATION ENTRE L’OEQ ET L’ORDRE DES TRAVAILLEURS SOCIAUX ET DES THÉRAPEUTES CONJUGAUX ET FAMILIAUX DU QUÉBEC (OTSTCFQ).

La collaboration interprofessionnelle

L’évaluation psychosociale dans le contexte des mesures de représentation implique que le travailleur social,  notamment, apprécie l’inaptitude constatée par le médecin et en documente les impacts sur le fonctionnement social en vue de porter un jugement sur les besoins de protection et de représentation de la personne dans l’exercice de ses droits civils 2.

Dans la mesure où cela est indiqué et pertinent pour appuyer son analyse et ses recommandations, le travailleur social sollicite la collaboration de professionnels d’autres disciplines, dont l’ergothérapie 3. À ce titre, l’expertise de l’ergothérapeute permet d’avoir un portrait juste et optimisé des habiletés fonctionnelles de la personne. En effet, cette expertise s’inscrit dans son champ d’exercice tel que libellé à l’article 37 o) du Code des professions : «  Évaluer les habiletés fonction nelles d’une personne, déterminer et mettre en œuvre un plan de traite ment et d’intervention, développer, restaurer ou maintenir les aptitudes, compenser les incapacités, diminuer les situations de handicap et adap ter l’environnement dans le but de favoriser l’autonomie optimale de l’être humain en interaction avec son environnement ».

Dans l’optique de favoriser une collaboration optimale, puisqu’elle s’avère une bonne pratique à privilégier dans les situations complexes, notamment pour l’évaluation de l’inaptitude, nous décrirons ci-après l’apport de l’ergothérapeute dans le cadre de l’évaluation psychosociale du travailleur social en contexte de démarches relatives aux mesures de protection juridique de la personne majeure.

L’expertise de l’ergothérapeute

L’évaluation des habiletés fonctionnelles est une activité clinique complexe au cœur du champ d’exercice de l’ergothérapeute. Cette activité d’évaluation, lorsqu’elle concerne une personne atteinte d’un trouble mental ou neuropsychologique attesté par un diagnostic ou par une évaluation effectuée par un professionnel habilité, lui est d’ailleurs réservée 4, en raison des risques de préjudice qu’elle comporte. Cela s’avère d’ailleurs le cas des personnes visées par les démarches relatives aux mesures de représentation.

Dans le cadre de son évaluation des habiletés fonctionnelles de la personne, l’ergothérapeute :

  • détermine les facteurs qui influencent le fonctionnement de la personne dans la réalisation de ses activités 5 et occupations 6, soit les facteurs personnels 7, dont ceux liés aux troubles mentaux ou neuropsychologiques 8, les facteurs environnementaux 9 et ceux liés aux activités 10 ;
  • analyse l’influence mutuelle des facteurs précités sur divers aspects de ce fonctionnement, notamment l’autonomie, la sécurité, l’efficacité, l’effort, l’engagement et la satisfaction.

Ce qui lui permet de porter un jugement clinique sur le fonctionnement de la personne dans la réalisation de ses activités et occupations, en l’occurrence relativement à l’objet de l’inaptitude mis en cause (c’est-à-dire, l’inaptitude à prendre soin de sa personne ou à gérer ses biens) et d’en communiquer les conclusions 11.

La compréhension du fonctionnement de la personne dans la réalisation de ses activités et occupations qui découle de l’évaluation des habiletés fonctionnelles effectuée par un ergothérapeute apporte un éclairage sur plusieurs aspects importants reliés à l’inaptitude ou au besoin de pro tection, tels :

  • L’autonomie décisionnelle et fonctionnelle : L’autonomie décisionnelle réfère à la capacité mentale de la personne à raisonner, apprécier les risques et prendre des décisions (ce qui implique une compréhension juste de la situation incluant ses capacités et ses besoins d’assistance) ainsi que la capacité de la personne à mettre en œuvre ses décisions et les adapter au besoin, ce qui renvoie aux aspects fonctionnels et implique les fonctions exécutives.

L’ergothérapeute, en outre, apprécie les fonctions mentales supérieures, dont les fonctions exécutives, en vue de déterminer leurs répercussions sur le fonctionnement de la personne dans la réalisation de ses activités et occupations relativement à l’objet de l’inaptitude mise en cause (c’est-à-dire, l’aptitude à prendre soin de sa personne ou à gérer ses biens et leurs dimensions modulables).

Les fonctions exécutives comprennent notamment la capacité de planifier, d’initier, d’inhiber les automatismes pour produire un comportement adéquat, le jugement, la capacité de s’ajuster et de résoudre des problèmes, de maintenir son engagement dans l’activité et d’apprécier le résultat. Elles sont impliquées dans l’anticipation et l’appréciation des risques ainsi que la capacité de s’ajuster aux circonstances. Comme elles se révèlent dans l’action (activité), l’évaluation de l’ergothérapeute lui permet d’apprécier celles-ci et de déterminer de façon juste et valide leurs répercussions sur le fonctionnement de la personne dans la réalisation  de ses activités et occupations.

L’autonomie fonctionnelle réfère aux capacités/aptitudes de la personne (aux plans sensoriel, moteur, perceptif, cognitif, affectif, comportemental et relationnel, etc.), mises en relation avec les exigences d’une activité (composantes, complexité, familiarité, agencement, etc.) et les facteurs  environnementaux (physique, social, culturel, économique, organisationnel, politique). L’analyse de cette mise en relation renvoie à l’évaluation des habiletés fonctionnelles et permet de juger des écarts entre les capacités de la personne et les exigences liées aux caractéristiques de l’environnement et de l’activité. Il en découle un portrait juste des capacités résiduelles de la personne et de son fonctionnement réel dans la réalisation des activités en lien avec l’objet de l’inaptitude mis en cause (c’est-à-dire, l’aptitude à prendre soin de sa personne ou à gérer ses biens)  en considération de ses ressources disponibles.

  • La sécurité : Les risques associés aux incapacités cognitives et fonctionnelles liées aux troubles mentaux ou neuropsychologiques, en particulier celles qui affectent la capacité d’autoprotection (découlant notamment des fonctions exécutives 12) et l’autocritique (découlant notamment de l’écart entre la perception de la personne de ses capacités et ses capacités réelles), sont déterminants quant au besoin de protection ainsi qu’à la nature et l’ampleur de cette mesure 13. L’évaluation de l’ergothérapeute permet de déterminer les facteurs (personnels, environnementaux et  liés à l’activité)         qui influencent  le fonctionnement de la personne dans la réalisation de ses activités  et     occupations, pour ensuite analyser l’influence mutuelle de l’ensemble de ces facteurs sur la sécurité. Ainsi la contribution relative des facteurs liés aux troubles mentaux ou neuropsychologiques et des autres facteurs (par exemple : l’impact fonctionnel d’une comorbidité, les valeurs de la personne, sa tolérance aux risques, un fonctionnement marginal  et habituel de la personne, etc.) est mise en évidence.
  • Le potentiel d’amélioration du fonctionnement de la personne dans la réalisation de ses activités et l’intervention en vue d’optimiser ce fonctionnement,  en agissant sur les facteurs modifiables (facteurs liés à la personne, à l’environnement, à l’activité), et ainsi,  de diminuer les risques liés aux incapacités cognitives et fonctionnelles.

Le recours à l’expertise de l’ergothérapeute permet d’obtenir son jugement clinique sur ces divers aspects par le biais de l’évaluation des habiletés fonctionnelles. Cela s’avère particulièrement indiqué lorsqu’au regard des données recueillies par le travailleur social sur le fonctionnement social de la personne, des questionnements demeurent et des clarifications sont nécessaires concernant un ou plusieurs aspects du fonctionnement de la personne dans la réalisation d’une ou plusieurs de ses activités/ occupations.

L’observation directe du fonctionnement de la personne dans la réalisation d’une activité est particulièrement sensible à l’influence des facteurs personnels, environnementaux et ceux liés à l’activité en soi. Les compétences de l’ergothérapeute dans l’utilisation des diverses méthodes d’évaluation et instruments de mesure à sa disposition lui permettent de limiter certains biais liés aux caractéristiques de la situation d’évaluation notamment sur le plan de l’activité (composantes, complexité, familiarité, etc.) ainsi que de l’environnement (composantes, structure, familiarité, etc.) et, d’autre part, de les prendre en considération dans l’interprétation des résultats.

L’utilisation des données issues d’une évaluation  en ergothérapie

Lorsqu’on envisage l’utilisation de données provenant d’une évaluation en ergothérapie, il est important de prendre en compte que le jugement clinique est basé sur le motif de référence initial. Ainsi, si l’évaluation en ergothérapie est réalisée pour un motif non lié à une inaptitude, elle peut présenter des limitations par rapport au contexte d’utilisation envisagé par le travailleur social. Par conséquent, il est recommandé de consulter l’ergothérapeute pour comprendre les limites de cette évaluation.

L’utilisation de données issues d’une évaluation en ergothérapie, qui est généralement une activité réservée, doit préserver l’intégrité de cet avis professionnel. Il est recommandé d’annexer, si pertinent, le rapport complet de l’ergothérapeute au rapport d’évaluation psychosociale. De même, l’utilisation d’un extrait de rapport doit refléter de manière exhaustive le jugement de l’ergothérapeute sur l’objet de l’évaluation. Ces approches sont préférables à l’utilisation d’un résumé en raison du potentiel d’interprétation associé à cette dernière méthode.

Conclusion

Considérant la portée déterminante des recommandations découlant de l’évaluation psychosociale sur les personnes visées par une mesure de protection juridique, la collaboration interprofessionnelle s’avère une bonne pratique à privilégier.

RÉFÉRENCES

  1. Loi modifiant le Code civil, le Code de procédure civile, la Loi sur le curateur public et diverses dispositions en matière de protection des personnes.
  2. OTSTCFQ (2022). Guide de pratique. L’évaluation psychosociale d’une personne dans le cadre de la tutelle au majeur, du mandat de protection et de la représentation temporaire, p. 28.
  3. Ibid., p. 33.
  4. RLRQ, c. C-26, article 37 o).
  5. Ses activités et occupations réfèrent à celles pouvant être réalisées par la personne dans toutes les sphères de sa vie.
  6. L’utilisation du terme     « occupations »   réfère également aux rôles sociaux.
  7. Les facteurs personnels incluent notamment l’âge, l’état de santé, l’identité socioculturelle et genrée, les valeurs et les intérêts, les systèmes organiques ainsi que les aptitudes (capacités/ incapacités) aux plans sensoriel, moteur, perceptif, cognitif, affectif, comportemental et relationnel.
  8. Et les   déficiences et incapacités en découlant.
  9. Les facteurs environnementaux réfèrent aux environnements physique, social, culturel, économique, organisationnel, politique.
  10. Les facteurs liés aux activités réfèrent à leurs composantes, leur complexité, leur familiarité, leur agencement, etc.
  11. Le Guide explicatif de la Loi modifiant le  Code des professions et d’autres dispositions législatives dans le domaine de la santé mentale et des relations humaines (2021) mentionne (section 3) : « les conclusions s’appuient sur les éléments que le professionnel juge significatifs et porteurs, à la lumière de son   champ d’exercice » (p. 6) « les conclusions peuvent influencer la suite des événements, dont celles relatives au processus clinique (ex. vérification de nouvelles hypothèses, détermination d’un plan d’intervention, orientation vers un autre professionnel) » (p. 5).
  12. Les fonctions exécutives sont particulièrement importantes dans la mise en œuvre des décisions incluant l’anticipation et l’appréciation des risques ainsi que la capacité de s’ajuster aux circonstances. Elles sont donc grandement contributives des capacités de protection de la personne.
  13. Azuelos, E et Giroux, D. (2022) L’évaluation de l’inaptitude, dans Lussier D., Massoud, F. Précis de gériatrie Arcand-Hébert, 4e édition, EDISEM

Ce texte a été publié récemment par l’OTSTCFQ dans l’infolettre adressée à leurs membres.