Articles spéciaux
Retour à la listeContribution essentielle de l’ergothérapeute à l’égard de la recommandation de textures et consistances pour la clientèle dysphagique
L’expertise des ergothérapeutes œuvrant auprès de la clientèle dysphagique est régulièrement sollicitée dans les milieux cliniques. Dans le cadre de leurs fonctions, et en respect de leur champ d’exercices, les ergothérapeutes sont appelés notamment à se prononcer sur les textures et consistances jugées sécuritaires à la suite de l’évaluation des habiletés fonctionnelles. à cet effet, l’OEQ a été interpelé par plusieurs membres qui voulaient connaître son avis à l’égard de leur contribution spécifique dans la recommandation de textures et consistances.
De même, des questions concernant la tenue de dossier, plus précisément en ce qui a trait à la façon de rédiger les recommandations selon la nomenclature de l’International Dysphagia Diet Standardisation Initiative (IDDSI), ont également été soulevées. Notamment, des changements dans la terminologie utilisée dans plusieurs organisations ont engendré des préoccupations chez les membres, qui désirent éviter toute ambiguïté dans la formulation de leurs recommandations. Dans ce contexte, l’Ordre souhaite apporter les précisions nécessaires afin de répondre aux besoins de ses membres.
Contribution de l'ergothérapeuthe dans la recommandation de textures et consistances modifiées
Comme indiqué dans le document «Au-delà de la dysphagie, la personne avant tout: Rôle de l’ergothérapeute auprès des personnes présentant des difficultés à s’alimenter ou à être alimentées » (OEQ, 2006), l’ergothérapeute contribue à la détermination des caractéristiques des aliments qui facilitent une alimentation sécuritaire, satisfaisante et qui favorisent la santé et l’autonomie optimales de la personne. Par cet énoncé, l’OEQ insiste sur l’importance du travail en collaboration interprofessionnelle, dont les ergothérapeutes doivent faire partie, dans la détermination des recommandations touchant les textures et consistances des aliments et breuvages. Cela dit, dans un milieu où seul l’ergothérapeute est disponible ou mandaté pour procéder à l’évaluation de la dysphagie, ce dernier peut tout à fait formuler ses recommandations en la matière. Évidemment, il est attendu de l’ergothérapeute qu’il en réfère, au besoin, à d’autres professionnels avec qui il pourra partager son analyse professionnelle.
Cela inclut les facteurs causaux entravant la capacité du client à s’alimenter de façon autonome et sécuritaire.
L’ergothérapeute est compétent pour émettre son opinion professionnelle quant aux textures/consistances des aliments et breuvages à ingérer. Il détient en effet les connaissances lui permettant d’analyser la congruence entre celles-ci et la fonction de déglutition établie lors de l’évaluation du client dysphagique.
À cet égard, rappelons que deux activités réservées aux ergothérapeutes viennent appuyer leur contribution essentielle auprès des personnes ayant des difficultés à s’alimenter. Elles confirment d’ailleurs les compétences reconnues des ergothérapeutes concernant la recommandation des textures et consistances. Ces activités réservées sont
- Évaluer la fonction neuromusculosquelettique d’une personne présentant une déficience ou une incapacité de sa fonction physique ;
- Évaluer les habiletés fonctionnelles d’une personne atteinte d’un trouble mental ou neuropsychologique attesté par un diagnostic ou par une évaluation effectuée par un professionnel habilité.
Les travaux de modernisation de la pratique professionnelle dans le domaine de la santé ont mené à l’adoption de la Loi modifiant le Code des professions et d’autres dispositions législatives dans le domaine de la santé (PL no 90, 2002) et la Loi modifiant le Code des professions et d’autres dispositions législatives dans le domaine de la santé mentale et des relations humaines (PL no 21, 2009). Ces lois ont notamment établi une réserve d’activités pour les membres de certains ordres. Il faut rappeler que les critères ayant servi à déterminer les activités nécessitant d’être réservées concernent le risque de préjudice (pour le public), ainsi que la formation liée au degré de complexité que comportent les activités. Cela sous-entend que seules les personnes ayant les compétences pour accomplir une activité sont habilitées à le faire. En ce qui concerne la dysphagie, le degré de complexité est évident et le risque de préjudice est non négligeable sachant que plusieurs conséquences négatives sur la santé et le bien-être y sont associées. Le respect des activités réservées associées au champ d’exercices du professionnel est donc essentiel pour s’assurer d’une prise en charge optimale incluant une gestion des risques sécuritaire.
Évaluer la fonction neuromusculosquelettique d’une personne présentant une déficience ou une incapacité de sa fonction physique
Cette évaluation comporte une multitude d’éléments, qui peuvent évidemment avoir un impact sur l’efficacité et la sécurité de la déglutition, tels que la motricité, le tonus musculaire, la force musculaire, l’amplitude articulaire, le contrôle moteur, la coordination, la proprioception, la sensibilité des membres supérieurs, du cou, du tronc, du visage incluant les structures de la fonction oro-pharyngo-laryngée, le contrôle postural, les réflexes, l’endurance et la douleur. En présence d’une atteinte du système nerveux (central et/ou périphérique) chez la personne dysphagique, on comprend que cette évaluation, effectuée par l’ergothérapeute, est essentielle en vue de conclure sur les habiletés fonctionnelles de l’individu à l’égard de l’activité de s’alimenter, et ce, en considérant l’adéquation des textures et consistances.
Évaluer les habiletés fonctionnelles d’une personne atteinte d’un trouble mental ou neuropsychologique attesté par un diagnostic ou par une évaluation effectuée par un professionnel habilité
Outre l’intégrité sensorimotrice nécessaire à la déglutition et évaluée notamment à travers l’activité réservée précédemment décrite, il faut également considérer l’apport essentiel de la cognition sur le processus de déglutition. Certains auteurs parlent d’ailleurs de «dysphagie cognitive» et plusieurs portent une attention particulière à la cognition sur la déglutition1.
Que ce soit au regard du niveau d’éveil et de vigilance, de la capacité à maintenir son attention durant la durée totale du repas/collation, à se réguler, à percevoir, à reconnaître ce qui est comestible et ce qui ne l’est pas, à comprendre et suivre les consignes, à formuler un but, à planifier les gestes moteurs, à exécuter et calibrer les mouvements lors de la formation du bolus en bouche, à anticiper, à réagir et à mettre en place des stratégies et manœuvres pour protéger les voies respiratoires, à juger du volume approprié du bolus, de la vitesse d’alimentation et du moment optimal pour amorcer la déglutition, à s’organiser et à mettre en œuvre des solutions aux difficultés rencontrées, à contrôler les facteurs de risque, à se rappeler des consignes quant aux textures et consistances permises au plan d’intervention, etc., l’impact des difficultés cognitives sur la réalisation de l’activité de s’alimenter peut engendrer des conséquences non négligeables sur la santé des clients dysphagiques.
La présence de troubles cognitifs est reconnue pour influencer la capacité de s’alimenter, incluant la déglutition. Bon nombre de clients ayant une dysphagie présentent également des troubles cognitifs (ex. : les cas de TCC, AVC, TNC majeurs [Alzheimer, vasculaire, à corps de Lewy, lié au Parkinson], délirium). Savoir cela rend essentielle l’évaluation de l’impact de ces troubles sur la capacité de la personne à s’alimenter dans son environnement de façon sécuritaire. C’est dans ce contexte que s’inscrit l’activité réservée aux ergothérapeutes. Les risques liés à la dysphagie étant influencés par la présence de troubles cognitifs2, cela justifie le caractère essentiel de l’évaluation des habiletés fonctionnelles à l’alimentation par un ergothérapeute.
Tenue de dossier et IDDSI
Comme souligné dans l’article de l’Ergothérapie Express publié en juin 2019 ainsi que dans l’avis commun de l’Ordre des ergothérapeutes du Québec (OEQ) et de l’Ordre des orthophonistes et audiologistes du Québec (OAAQ), l’OEQ encourage et soutient ses membres dans l’intégration du cadre de référence de l’IDDSI dans leur pratique auprès de la clientèle dysphagique. Dans un souci de protection du public, l’OEQ promeut l’utilisation par les ergothérapeutes de la nomenclature de l’IDDSI, cette dernière s’appuyant sur une démarche interdisciplinaire rigoureuse, scientifique et permettant une communication claire tout au long du continuum de soins de la clientèle.
En effet, l’utilisation de la nomenclature de l’IDDSI permet un langage commun entre les manufacturiers, les professionnels, les clients et leurs proches. Cela facilite par conséquent la communication des recommandations, ce qui réduit les risques de préjudice au client.
L’Ordre a été informé que plusieurs organisations fonctionnent actuellement avec deux terminologies et déplore la confusion que cela peut semer dans les milieux ainsi que pour la clientèle. Dans cette situation, il est tout à fait cohérent que les ergothérapeutes se conforment également aux directives de leur établissement en ce qui concerne la façon de communiquer leurs recommandations. Par ailleurs, il est encourageant de constater que plusieurs milieux ont pris position en faveur de l’IDDSI, notamment lors du congé hospitalier. Cette décision a pour but de simplifier la compréhension, d’optimiser la sécurité des usagers ainsi que de favoriser l’accès aux produits des compagnies qui ont adopté la terminologie de l’IDDSI.
Dans un souci d’assurer le plus de clarté et d’éviter toute ambiguïté dans la tenue de dossier, l’Ordre recommande fortement de consigner au dossier tant la cote IDDSI que le libellé correspondant. Par exemple, l’ergothérapeute pourrait inscrire une recommandation à son dossier telle que :
- Modification de la consistance des breuvages en tout temps : IDDSI-2 (Légèrement épais)
- Modification de la texture des aliments lors des repas/ collations : IDDSI-4 (Purée)
Cet exemple concerne uniquement la texture et la consistance recommandées en lien avec la terminologie de l’IDDSI. Il est à noter que l’ergothérapeute prendra en compte l’ensemble des facteurs pouvant influencer ladite recommandation.
Notamment, la manière dont la personne s’alimente ou est alimentée sera considérée par l’ergothérapeute dans la détermination des caractéristiques des aliments en adéquation avec ses habiletés fonctionnelles. Par exemple, la prise d’un liquide légèrement épais à partir d’un verre (ex. : avec ou sans paille), d’une cuillère, d’une tasse, d’un gobelet ou d’un biberon aura une incidence sur le processus de déglutition. Au même titre, si une personne dysphagique prend des gorgées en rafale au verre comparativement à une gorgée à la fois à la cuillère ou bien présente des difficultés de contrôle postural et de positionnement au repas, ces différents facteurs auront une incidence sur la recommandation de l’ergothérapeute concernant les textures et consistances jugées sécuritaires.
Pour conclure, l’Ordre souhaite, dans sa mission de protection du public, que le rôle et l’expertise de l’ergothérapeute soient mis à profit dans les divers milieux de soins afin d’assurer une offre de services de qualité et une gestion des risques optimale pour la clientèle qui souffre ou risque de souffrir de dysphagie, et ce, en contexte d’interdisciplinarité où le champ d’exercices et les activités réservées de chacun des professionnels sont respectés.
Références
CICHERO, J. et MURDOCH, M. (2006). Dysphagia: Foundation, theory and practice. Chichester: John Wiley & Sons, Ltd.
DANIELS, S.K, HUCKABEE, M.L. ET GOZDZLKOWSKA, K. (2019). Dysphagia following stroke (3e éd.). San Diego: Plural Publishing, Inc.
GROHER, M.E et CRARY, M.A. (2016). Dysphagia: clinical management in adults and children (2e éd., p. 1-18). Missouri: Elsevier.
LEONARD, R. et KENDALL, K. (2019). Dysphagia assessment and treatment planning: a team approach (4e éd., vol. 1). San Diego: Plural Publishing, Inc.
NARUISHI, K., NISHIKAWA, Y., KIDO, J., FUKUNAGA, A. et NAGATA, T. (2018). Relationship of aspiration pneumonia to cognitive impairment and oral condition: a crosssectional study. Clinical oral investigations, 22 (7), p. 2575-2580. doi: 10.1007/s00784-018-2356-7
ORTEGA, O. et ESPINOSA, M.C. (2019). Oropharyngeal dysphagia and dementia. Dans Olle Ekberg (dir.), Dysphagia: Diagnosis and treatment (2e éd., p. 199-211). Switzerland: Springer international publishing.
SMITH, J. (2018). Eating and swallowing. Dans Pendleton, H. et Schltz-Krohn (2018). Pedretti’s occupation therapy: practice skills for physical dysfunction (8e éd., p. 670-696). Missouri : Elsevier
WINCHESTER, J. et WINCHESTER, C.G. (2015). Cognitive dysphagia and effectively managing the 5 systems. Perspectives on gerontology, 20(1), p. 116-132.
YUNG JO, S., HWANG, J-W. et PYUN, S-B. (2017). Relationship between cognitive function and dysphagia after stroke. Annals of rehabilitation medicine, 41(4), p. 564-572. Doi: 10.5535/arm.2017.41.4.564
Ressources intéressantes
Site Internet de l’IDDSI : https://iddsi.org/
Webinaire IDDSI 101 en français : https://youtu.be/ UCwbNrqkwQk