Chroniques de l'ergothérapie

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L’ergothérapie, un élément clé en soins palliatifs et de fin de vie

Par
Valérie Gauthier, erg.
Geneviève Dorval, erg., M. Sc.
Julie Masse, erg., M. Sc. Professeure agrégée de clinique, Programme d’ergothérapie, École de réadaptation, Université de Montréal

LES ÊTRES HUMAINS ONT LE BESOIN ET LE DROIT DE RÉALISER DES ACTIVITÉS SIGNIFIANTES À CHAQUE ÉTAPE DE LEUR VIE (TOWNSEND & POLATAJKO, 2013). LES PERSONNES QUI BÉNÉFICIENT OU QUI DEVRAIENT BÉNÉFICIER DE SOINS PALLIATIFS ET DE FIN DE VIE (SPFV) N’Y FONT PAS EXCEPTION ! PLUSIEURS D’ENTRE ELLES NÉCESSITENT UN ACCOMPAGNEMENT PERSONNALISÉ EN ERGOTHÉRAPIE POUR SURMONTER DIVERS DÉFIS OCCUPATIONNELS À UN MOMENT SI CRITIQUE DE LEUR EXISTENCE.

Les SPFV sont un sujet d’actualité qui interpelle plusieurs professionnels de la santé et qui suscite des débats sociaux. En 2022, le Plan d’action 2020-2025 : Pour un accès équitable à des SPFV de qualité du Gouvernement du Québec souligne notamment l’importance de mobiliser des équipes dont c’est la mission exclusive, en insistant sur l’importance d’assurer une plus grande inclusion de certains intervenants et le développement de leurs compétences. L’ergothérapie a beaucoup à offrir pour accompagner dignement les personnes en fin de vie et bonifier l’offre de soins actuelle. Les fondements de cette profession, dont l’approche centrée sur le client et la vision holistique de la personne dans son environnement, prennent d’ailleurs tout leur sens en contexte de SPFV. Surprenamment, les compétences et la contribution unique des ergothérapeutes sont encore trop rarement et tardivement mises à contribution. Selon un récent sondage provincial, plusieurs facteurs semblent être en cause, dont les connaissances limitées des autres groupes professionnels et du grand public sur le rôle de l’ergothérapie dans ce domaine de pratique, ainsi que divers obstacles organisationnels en termes d’attentes administratives, de ressources financières et de nombre limité d’ergothérapeutes impliqués (Talbot-Coulombe et al., 2022). De plus, bien que plusieurs ergothérapeutes soient confrontés aux défis auxquels font face les personnes en fin de vie, ils expriment le besoin d’être mieux formés pour intervenir dans ce champ de pratique si particulier (Talbot-Coulombe, 2019).

Les personnes en fin de vie font souvent face à de nombreux deuils occupationnels, d’importantes perturbations dans leurs routines quotidiennes ainsi qu’une diminution de leur engagement dans des activités signifiantes. Les ergothérapeutes ont une expertise unique pour aider les gens qui souffrent à réaliser des activités qui sont source de satisfaction et qui leur permettent d’entretenir leurs relations. En les accompagnant pour trouver des façons de réaliser un dernier projet qui leur tient à cœur, préserver leur autonomie décisionnelle et évoluer dans un environnement sécuritaire et sécurisant, ces professionnels de la santé sont des acteurs clés pour optimiser leur qualité de vie jusqu’à la fin de leurs jours (Cooper, 2006). Leur dignité et celle de leurs proches en dépendent ! Selon l’Association canadienne des ergothérapeutes, il est possible de favoriser et d’améliorer l’engagement et la qualité des expériences associées à la fin de vie à travers l’occupation (ACE, 2011, 2017). En accordant de l’importance au quotidien dans toute sa complexité, les ergothérapeutes ont l’expertise qu’il faut pour aider leurs patients à maintenir un sentiment de cohérence, un niveau de fonctionnement satisfaisant et un sentiment d’être vivant même en fin de vie et lorsque la mort est imminente.

Il est temps que les ergothérapeutes œuvrant en SPFV déploient leur rôle bien au-delà du confort et de la sécurité dans les transferts, les déplacements et l’hygiène personnelle (Talbot-Coulombe et al., 2022). L’approche centrée sur l’ensemble des besoins occupationnels des personnes concernées implique que les soins offerts accordent aussi une réelle importance aux activités porteuses de sens, et ce, même si la guérison n’est pas envisageable. Des thèmes tels que « vivre avec l’idée qu’on va mourir, restructurer la vie quotidienne, être guidé par la volonté du corps, accorder la priorité aux relations, s’occuper de petits détails et prendre une orientation existentielle » suggèrent d’ailleurs que les personnes qui ont reçu un diagnostic de maladie terminale ont bel et bien des préoccupations et des besoins en lien avec la réalisation de leurs occupations (Lala & Kinsella, 2011). Le raisonnement clinique en ergothérapie prend ancrage dans divers modèles de pratiques disciplinaires permettant d’analyser et de faciliter la réalisation d’activités signifiantes favorables au bien-être, et ce, même quand la vie se fragilise. À titre d’exemple, le modèle Kawa (Iwama et al., 2009 ; Teoh & Iwama, 2015) facilite le dialogue avec une personne qui souhaiterait faire un retour sur sa vie en la narrant à l’aide d’un support visuel symbolique et universel, soit la métaphore de la rivière afin d’illustrer les éléments qui ont influencé son courant de vie de la naissance jusqu’à la mort. Par ailleurs, le cadre conceptuel Occupation-Based Palliative Care Model (Essential Yeh & McColl, 2019) oriente l’accompagnement de l’ergothérapeute auprès d’une personne en fin de vie vers l’atteinte d’un équilibre entre les occupations favorables à son autonomie et son sentiment de contrôle, et celles qui lui permettent de préparer sa mort. Ce modèle suggère que cet équilibre évolue de façon très personnelle dans le temps et souligne que le rôle de l’ergothérapeute consiste aussi à mettre en place un environnement physique et social qui soit sécuritaire, confortable et supportant.

Tout récemment, un rapport sur l’aide médicale à mourir (AMM) au Canada (Santé Canada, 2023) a démontré que le Québec est la province ayant compté le plus grand nombre de décès attribuables à l’AMM en 2022 (4 801 cas sur un total de 13 241 cas à travers le pays) et celle qui a présenté la plus forte augmentation de son taux d’utilisation (45,5 %) de 2021 à 2022. Ce rapport indique également que les motifs les plus fréquemment évoqués par les Canadiens ayant reçu l’AMM sont « la perte de la capacité à participer à des activités significatives (86,3 %), suivie de la perte de la capacité à accomplir les activités de la vie quotidienne (81,9 %) et du contrôle inadéquat de la douleur ou de l’inquiétude au sujet du contrôle de la douleur (59,2 %) ». Impossible de ne pas se sentir interpellés en tant qu’ergothérapeutes ! Voici donc une opportunité à ne pas manquer pour affirmer davantage notre leadership afin de mieux comprendre les besoins et soigner le quotidien des personnes dont la vie tire à sa fin.

En somme, les ergothérapeutes sont des acteurs clés qui seront de plus en plus souvent impliqués au sein d’équipes interdisciplinaires en SPVF.

Miser sur l’occupation pour améliorer la qualité de la fin de vie de ces personnes, n’est-ce pas ce que l’ergothérapie a de mieux à offrir ?

Références 

ACE. (2011). Prise de position de l’ACE L’ergothérapie et les soins de fin de vie (2011). CAOT publications ACE.

ACE. (2017). Prise de position de l’ACE L’ergothérapie et les soins de fin de vie (2017). CAOT publications ACE.

Cooper, J. (2006). Occupational Therapy in Oncology and Palliative Care (2e éd.). John Wiley & Sons.

Essential Yeh, H.-H., & McColl, M. A. (2019). A model for occupation-based palliative care. Occupational Therapy in Health Care, 33(1), 108?123.

Gouvernement du Québec. (2022). Plan d’action 2020-2025?: Pour un accès équitable à des soins palliatifs et de fin de vie de qualité. La Direction des communications du ministère de la Santé et des Services sociaux.

Iwama, M. K., Thomson, N. A., & Macdonald, R. M. (2009). The Kawa model?: The power of culturally responsive occupational therapy. Disability and Rehabilitation, 31(14), 1125?1135.

Lala, A. P., & Kinsella, E. A. (2011). A phenomenological inquiry into the embodied nature of occupation at end of life. Canadian Journal of Occupational Therapy. Revue Canadienne D’ergotherapie, 78(4), 246?254.

Santé Canada. (2023). Quatrième rapport annuel sur l’aide médicale à mourir au Canada 2022.

Talbot-Coulombe, C. (2019). L’ergothérapie en soins palliatifs et de fin de vie?: Pratique actuelle et besoins de formation. Mémoire de maîtrise.

Talbot-Coulombe, C., Bravo, G., & Carrier, A. (2022). Occupational Therapy Practice in Palliative and End-of-Life Care in Québec. Canadian Journal of Occupational Therapy. Revue Canadienne D’ergotherapie, 89(2), 201?211.

Teoh, J. Y., & Iwama, M. K. (2015). The Kawa Model Made Easy?: A guide to applying the Kawa Model in occupational therapy practice. (2nd ed.). The Kawa Model Made Easy: a guide to applying  the Kawa Model in occupational therapy practice

Townsend, E. A., & Polatajko, H. (2013). Habiliter à l’occupation – Faire avancer la perspective ergothérapique de la santé, du bien-être et de la justice par l’occupation. (2e éd.). CAOT publications ACE.